Dans cette communication je propose d'interroger les différentes solutions politiques apportées à la question de la syndicalisation des Africains-Américains aux États-Unis, depuis la constitution du CIO à partir de 1935, aux différentes expériences de fractions syndicales noires en son sein, puis au sein de l'AFL-CIO après 1955. La manière dont la ségrégation a longtemps tenu les Africains-Américains à l'écart des syndicats est connue[1]. Mais les relations entre syndicats et minorité noire sont demeurées difficiles, alors même que la question était jugée centrale du point de vue de la gauche états-unienne[2].
La gauche états-unienne a apporté des réponses diverses à ces questions, entre négation de la spécificité des discriminations raciales, dont la solution serait passée par l'union des ouvriers au sein du mouvement syndical, à la prise en compte des pesanteurs du racisme, et à l'organisation de fractions syndicales noires, voire d'organisations syndicales qui suivaient les lignes de la ségrégation professionnelle, comme dans le cas du célèbre syndicat des porteurs de bagage fondé par Asa Philip Randolph, dans une profession qui n'employait de fait que des Noirs[3].
Cette question a été perçue comme essentielle à l'organisation du mouvement ouvrier américain, et certains ont identifié l'échec de la campagne de syndicalisation du Sud en 1946, lors de l' « opération Dixie », comme un tournant dans l'histoire de la gauche et du syndicalisme américain, une « opportunité manquée[4] ».
Nous proposons d'aborder cette question à nouveau frais à partir d'un exemple, celui de différentes sections de syndicats de la métallurgie, à partir d'archives que nous avons collectées dans les archives de l'United Steel Workers Union of America, USWA, (Eberly Family Special Collections Library at Penn State - University Park).
Il s'agira de montrer de quelle manière le syndicalisme radical a représenté l'aile marchante d'un premier mouvement des droits civiques, parfois nommé Civil Rights Unionism, dont le maccarthysme a brisé l'élan, avant qu'il ne ressurgisse sous d'autres formes dans les années 1960[5].
[1] Philip Sheldon Foner, Organized labor and the black worker: 1619-1973, New York, International publishers, 1978, xii+489 p ; Michael K Honey, Black Workers Remember: An Oral History of Segregation, Unionism, and the Freedom Struggle (George Gund Foundation imprint in African American studies), University of California Press, 1999.
[2] Bert Cochran, Columbia University, et Research Institute on International Change, Labor and communism: the conflict that shaped American unions 9., Princeton, N.J., Princeton University Press, 1979 ; William E Gould, Black workers in White unions: job discrimination in the United States, Ithaca; London, Cornell University Press, 1977.
[3] Andrew Edmund Kersten, A. Philip Randolph: a life in the vanguard, Lanham, Rowman & Littlefield Publishers, 2007 ; Jack Santino, Miles of smiles, years of struggle stories of Black Pullman porters, Urbana, University of Illinois Press, 1991.
[4] Michael Goldfield, « The failure of Operation Dixie : a critical turning point in American political development ? », in Race, class, and community in Southern labor history, Tuscaloosa, University Press of Alabama Press, 1994, p. ; Michael Goldfield, The southern key: class, race, and radicalism in the 1930s and 1940s, 2020 ; Robert Korstad et Nelson Lichtenstein, « Opportunities Found and Lost: Labor, Radicals, and the Early Civil Rights Movement », The Journal of American History, 1 décembre 1988, vol. 75, no 3, p. 786‑811.
[5] Robert Rodgers Korstad, Civil rights unionism: tobacco workers and the struggle for democracy in the mid-twentieth-century South, Chapel Hill, University of North Carolina Press, 2003 ; Robert Korstad, « Civil Rights Unionism and the Black Freedom Struggle », American Communist History, décembre 2008, vol. 7, no 2, p. 255‑258.