Enntre 2017 et 2018, je réalisais une enquête de terrain ethnographique pour ma thèse de doctorat dans la localité de Nebaj, dans le nord du département du Quiché (Guatemala). Quarante ans plus tôt, les ixil étaient victimes d'une politique génocidaire qui a totalement déstructuré le tissu social local et laissé des traumatismes durables. En septembre 2017, un collectif de jeunes ixil a récupéré un théâtre dansé rituel datant de la période coloniale et représentant l'enlèvement d'une femme ixil par les colons espagnols, mettant en scène la mémoire des viols de femmes ayant eu lieu pendant la conquête espagnole ainsi que les spoliations de territoire dont les Ixil ont historiquement été victimes, par la métaphore du corps-territoire. Cette pièce, présentée comme une œuvre d'art, n'avait pas été jouée depuis plusieurs dizaines d'années et sa mémoire était sur le point de se perdre. La représentation de 2017 s'est accompagnée d'un discours militant, mené par une femme autorité locale, militante et féministe revendiquée, et ancienne membre de guérilla.
Dans cette communication, je souhaite me pencher sur ce métadiscours ayant vocation à rendre explicites les messages politiques contenus dans le théâtre, afin de « conscientiser » le public sur la répétition de cycles de violences à l'encontre des Ixil depuis cinq cents ans. Il s'agit donc de comprendre les ressorts mis en place par des militants de la reconnaissance des crimes du passé et défenseurs des droits de l'Homme pour adapter une forme d'art traditionnel à des rhétoriques politiques particulièrement modernes telles que la lutte contre la corruption, l'éveil des consciences politiques ou le rôle de la femme dans la société. Ce questionnement passera par l'analyse de pratiques discursives ainsi que par une étude de la mise en scène générale de la pièce, laquelle fait s'entrecroiser des temporalités diverses allant de la colonisation à la période contemporaine.